Notre dos nous est étranger. Opposé au visage, essence de l’identité humaine, le dos est synonyme d’anonymat, il semble échapper à toute classification anthropométrique. Selon les époques et les différentes classes sociales, celui-ci représentera l’oubli ou au contraire la postérité.
Le sillage
L’oubli
La charge
Mais le dos est aussi une partie pratique de notre corps que l’on sollicite énormément, elle est la plus endurante à la charge. Le sac à dos devient progressivement le bagage privilégié des voyageurs, des militaires, puis des écoliers. On peut remonter jusqu’à la Préhistoire pour avoir un témoignage de l’utilisation du dos par l’homme, Ötzi l’homme des glaces retrouvé en 1991 dans les Alpes italiennes avait été découvert avec son matériel et sa hotte dorsale composée d’une armature formée d’une longue tige de noisetier.
Les ailes
Il s’y passe donc beaucoup de choses dans notre dos, et qui n’a jamais rêvé de pouvoir y incruster des ailes pour réaliser un des plus vieux désirs de l’homme ? Voler ! Déployées depuis l’Antiquité aux dos des divinités ou de figures allégoriques, les ailes ont toujours fasciné l’homme par leur légèreté et leur emphase. Plus souvent évoquées que naturalisées, les ailes d’oiseaux, de chauve-souris ou d’insectes sont des artifices dont la mode pare le dos de vêtements féminins avec exception.
L’entrave
Quand on y pense, une robe fermée dans le dos c’est le dernier rempart avec la nudité. « Aide-moi à fermer ma robe ! » qui n’a jamais prononcé cette phrase devenue quotidienne dans la vie des femmes ? L’entrave faite dans le dos pour fermer un vêtement féminin suscite une image d’intimité, de sensualité, d’amour sublimée par la littérature et le cinéma. Les fermetures à glissière, les boutons, le laçage, les agrafes autant de fermetures qui stimulent l’imagination et le fantasme.
On remarque dans l’histoire du vêtement, que l’homme ne peut concevoir d’être asservi de la sorte par sa garde-robe à moins d’y être contraint par une raison médicale. Qui dit entrave, dit empêcher le mouvement, et cela nous fait penser à ces terribles camisoles de force, ce vêtement en toile forte doté de manches longues fermées se croisant sur le devant et s’attachant dans le dos. La première aurait été inventée en 1772 par un médecin irlandais s’appelant David McBride. Les camisoles de force étaient employées dans les hôpitaux psychiatriques pour protéger les patients d’eux-mêmes et puis plus tard en prison pour contenir certains détenus en entravant leurs bras. Aujourd’hui, dans notre société c’est un moyen devenu obsolète mais depuis les années 70 on s’en inspire dans un mouvement pour symboliser la provocation et la contestation. Vivienne Westwood et Malcolm McLaren reprennent la structure des longs bras sur des t-shirts à partir de 1976.
Pour revenir à tous ces différents systèmes de fermeture, ils sont les reliquats d’une époque à laquelle les femmes avaient besoin d’un proche ou d’une camériste pour s’habiller. L’archaïsme est toujours d’actualité, c’est un effort quotidien qui ne nous choque même plus, les exemples les plus frappant sont l’attache du soutien-gorge ou la fermeture d’une robe dans le dos. Les seules femmes créatrices à avoir pensé à coudre les fermetures des robes sur les côtés ou le devant sont Coco Chanel et Mme Grès. Aujourd’hui, la fermeture dans le dos relève d’un systématisme inconscient et pour les féministes, c’est une autre sorte d’asservissement au monde masculin.
Le dos nu
La marque
Pour terminer, parlons de la particularité du dos à véhiculer des messages grâce à sa surface plane très pratique. Les messages, nés au cours du XXème siècle avec le dossard de sport identifiant le nom des joueurs, se déploient librement sur le dos des vêtements dès la fin des années 1960. Utilitaires, contestataires, décoratives ou personnelles, ces déclarations parlent dans le dos des personnes qui les portent. Entre messages et motifs, les marques de mode ont pris conscience du caractère publicitaire des dos.

A partir des années 1980, la mode y estampille noms et logos, comme les signes d’une reconnaissance élitiste.
Ils parlent pour ceux qui les portent mais ne les voient pas. Ils donnent la parole à cette partie muette du corps sans toujours mesurer la portée de leurs propos…
